Alors que tout le monde s'attendait à une suite de l'excellent Bloodborne, FromSoftware prit tout le monde de court en 2017, en annonçant une nouvelle IP qui allait trancher à grands coups de katana les habitudes des afficionados de la saga Souls. Avec Sekiro : Shadows Die Twice, on note tout d'abord le changement de décor. Exit l'Europe médiévale/victorienne et crasseuse, bonjour le Japon féodal et poétique. Au delà de la géographie, c'est également le gameplay qui prend un coup de jeune avec en tête d'affiche la possibilité d'utiliser un grappin pour voltiger de toits en arbres. Oui. Voltiger dans un Souls, où par excellence, les personnages sont lourds et lents. Voilà donc qui présageait d'une expérience renouvellée, et, connaissant la finesse du travail des développeurs, d'une qualité inébranlable.
Le titre sort en 2019, et ne tarde pas à faire beaucoup parler de lui, principalement à cause sa difficulté qui frappe les joueurs les plus aguerris aux créations d'Hidetaka Miyazaki. Mais qui n'empêche pas Sekiro de trouver son public, et d'attirer à lui un petit microcosme, puis de décrocher le titre de jeu de l'année aux Game Awards et aux Steam Awards 2019. Dix ans après Demon's Souls, est-ce la consécration ?
D'entrée de jeu, Sekiro s'amuse à perdre les habitués dans leurs propres réflexes. Ici, nulle création d'avatar personnalisé, on incarne Sekiro, un shinobi dont l'histoire se révèlera peu à peu. Ici, pas de loot d'armes et d'armures, on se contente de Kusabimaru, le katana offert par le prince Kuro. Mais en revanche, ici aussi, on démarre l'aventure dans une cave moisie, et ici aussi, le prologue rappellera de vieux souvenirs à celles et ceux ayant arpenté les couloirs suintants de Northern Undead Asylum ou de la zone tutorielle de Demon's Souls.
Le système de combat inaugure l'infiltration, qui sera une alliée incontournable pour quiconque aura pour ambition d'avancer un tant soi peu dans les niveaux. Mais ce faisant, la courbe d'apprentissage vous reviendra en pleine poire dès qu'un duel se présentera. Il faudra donc sortir de la zone de confort douillette et aller au devant des ennemis. Et c'est là que la fête commence. Frapper, bloquer, esquiver, sauter. Quatre options (si l'on omet la fuite évidemment) qui résument l'art du sabre dans Sekiro. Outre la barre de vie, il faudra aussi compter avec la barre de posture. En d'autres termes c'est une jauge de résistance aux coups bloqués, sorte d'équivalent de la jauge d'endurance. Quand cette jauge est remplie, le coup suivant passe inéluctablement les défenses, et c'est la balafre assurée ou carrément la mort. A l'écran, une barre de posture en bas (celle du joueur) et une autre en haut (celle de votre ennemi). Selon la manière de bloquer les coups, il est possible de faire monter la barre de posture de l'opposant. Si la barre de posture est remplie avant que la barre de vie du type d'en face ne soit vidée, c'est l'occasion d'asséner un "DeathBlow", un coup fatal. Certains ennemis puissants disposent de deux, voire trois barres de vies, et selon leur style et leur agressivité, il sera opportun de jouer soit la barre de posture, soit la barre de vie. Cela signifie qu'il faudra soit attaquer sans relâche pour faire monter la barre de posture le plus vite possible, soit attaquer avec parcimonie, laissant la barre de posture redescendre mais la barre de vie s'amenuire petit à petit. A chacun de trouver l'équilibre. Autre aspect des combats, les coups périlleux, assénés par les ennemis. Ces coups spéciaux sont annoncés par un kanji rouge qui apparait au dessus du joueur, laissant une petite seconde pour agir en conséquence. Esquiver ou sauter ? Pour choisir la bonne méthode, il faudra avoir observé les mouvements de la partie adverse et si on pense voir arriver un coup perçant, l'esquiver ou bien le Mikiri-counter, une aptitude permettant de marcher sur le sabre ou la lance ennemie puis contre attaquer. Si c'est un coup balayant, sauter au dessus de l'ennemi sera la seule méthode valable. Enfin, et pour terminer sur les combats, le joueur débloquera au fil du jeu différents arbres de compétences ouvrant la voie à une multitude de possibilités mais dont l'intérêt sera très limité sauf quelques exceptions. Et dans le même ton, il faut évidement citer les prothèses Shinobi, que l'on pourrait qualifier d'attaques secondaires mais qui coûtent des emblêmes spirituels pour être utilisés. Si certaines prothèses sont nécessaires surtout au début du jeu, la plupart ne seront jamais utilisées.
Le gameplay s'enrichit donc de l'utilisation d'un grappin, qui permet de s'accrocher aux toits et aux arbres. Pour les zones urbaines, c'est une aubaine ! Se faufiler par les toits sera l'occasion idéale pour asssiner silencieusement de nombreux fantassins, mais gare aux archers bien planqués, et aux ennemis fourbes qui semblent aimer les hauteurs. Car dans Sekiro, on est jamais à l'abri, où que l'on soit, et tendre des embuscades ne sera pas l'appanage de votre personnage. Si au début on s'amuera à balancer des bouts de poterie sur des troufions qui font leur ronde, afin de les attirer loin de leurs camarades et de leur trancher la gorge, nombreux seront les passages où c'est bien Sekiro qui endossera le rôle de la proie. Mais heureusement, ce n'est pas l'IA qui rendra les situations compliquées. En effet, on regrettera amèrement que les ennemis soient totalement idiots. Prendez deux gardes qui discutent, tuez en un discrètement. Si l'autre voit le cadavre de son désormais ex-corrélégionaire, ça lui en touchera une sans faire bouger l'autre. Alors je sais qu'on est pas dans Metal Gear Solid, mais ici les ennemis souffrent clairement d'une souche très agressive d'Alzheimer. Cela dit, étant donnée la difficulté croissante jusqu'au premier tiers du jeu, c'est pas plus mal de n'avoir que des débiles en face de soit. Notons aussi la possibilité de nager et même de plonger sous l'eau, grande première dans la famille des Souls.
Comme le titre du jeu l'indique, la mort est au programme dans Sekiro. Le joueur aura le droit de mourir une fois avant la sentence ultime. Ce droit de résurrection, ce second souffle se fera au prix d'une barre de vie vidée de moitié, mais permettra aux plus prudents de se mettre à l'abri si possible. Car une fois la "vraie" mort infligée, on perd la moitié de l'argent amassé, et la moitié de la jauge d'expérience. Pour être plus précis, à chaque fois que la jauge d'expérience se remplit, on gagne un point à dépenser en arts de combats. Chaque nouveau point est plus long à acquérir. Mourir ne divise pas par deux les points déjà glanés et non encore utilisés, mais uniquement l'expérience pour atteindre le point en cours d'acquisition.
Parlons des boss et des mini-boss, qui souffrent également de crétinerie mais qui savent aussi comment rendre dingue. Le titre propose son lot d'ennemis uniques et diablement puissants, dont la rencontre restera probablement gravée dans les mémoires. Le premier quart du jeu propose donc des duels dont le but premier est de décourager purement et simplement les joueurs. Grosso-modo, c'est un tutoriel de l'enfer, et il faudra faire preuve de patience et de sang-froid pour venir à bout des adèptes de la force brute qui chercheront littéralement à écraser votre fierté. Fierté récompensée par chaque victoire alors que le rythme cardiaque reprend un tracé normal. Mais comme chez ses grands frères de la série des Souls, le seul moyen de s'en sortir sera de passer par une phase d'apprentissage des patterns, afin tout d'abord de préserver sa barre de vie et de posture, puis dans un second temps, de trouver les failles permettant d'asséner un coup, puis deux, puis trois... et de répéter encore et encore. Certains duels seront absolument épiques une fois maîtrisés, d'autres se termineront dans la débandade la plus pitoyable pour des victoires à la Pyrrhus moyennement gratifiantes il faut le dire. J'ai assez honte de ma victoire sur le boss de fin par exemple, immortalisée à jamais sur YouTube.
Il est grand temps d'évoquer enfin le véritable ennemi du jeu : la caméra. Elle était déjà présente dans les Souls, et elle fait son grand retour ici, et croyez moi, elle vous fera rager. Les duels dans les espaces confinés donnent souvent lieu à de grands moments où, acculé contre un mur, la caméra va... partir en vrille et empêcher de lire correctement les mouvements du psychopathe qui vous fonce dessus. Ou encore, déverrouiller l'ancrage sur l'ennemi, le faisant perdre de vue. Alors que les coups à travers les murs ont ENFIN été rendus impossible, quel dommage que la caméra demeure encore aussi ennuyeuse. De même pour les hitboxes, parfois exemplaires, parfois complètement cassées. Il sera plus que décourageant de se voir transpercé par un coup tombé littéralement à un mètre de soi.
La direction artisitque et le level-design sont sans surprise somptueux. FromSoftware arrive encore une fois à insuffler une poésie assez unique dans ses mondes en proie à la guerre et à la décrépitude. De forteresses en montagnes, de forêts automnales en villages, de royaumes divins en grottes sombres, le dépaysement jouera sa part et nous fera voyager. Gerbes de sang, étincelles virevoltantes, pétales de fleurs, panoramas étendus... Jamais on aura trouvé un Souls-like aussi beau. Avec une construction toujours intelligente des environnements, l'exploration sera un réel plaisir, décuplé par le sentiment d'être constamment en danger dans une zone non encore nettoyée. Peu d'objets d'intérêt seront à découvrir, on ramassera donc pas mal d'objets consommables. Le cheminement sera parsemé de statues, qui remplacent les feux de camp. Comme on ouvre très peu de raccourcis dans Sekiro, on trouve en contrepartie beaucoup plus de statues. Et la plupart des boss sont à proximité de ces checkpoints, rendant l'expérience moins douloureuse. Le scénario enfin, est un digne enfant des géniteurs des Souls. Des éléments de l'histoire sont à découvrir dans les décors, les personnages sont énigmatiques, et les objectifs pas toujours très clairs, mais l'immersion est bel et bien là pour autant.
Pour moi, Sekiro est un grand jeu, dans la droite lignée du style créé par FromSoftware. L'héritage est géré habilement : à aucun moment on a l'impression de rejouter à Dark Souls. La liberté apportée par l'utilisation du grappin, les possibilités offertes par l'environnement, et par le gameplay plus ouvert rendent le cheminement aussi excitant que plaisant, et si certains passages rendent dingue, c'est pour mieux rappeler qu'ici, le patron doit gagner ses galons à la dure. Si les soucis techniques liés à la caméra, et l'IA décevante ternissent un peu l'expérience globale, il n'en reste pas moins qu'on est là face à un titre unique en son genre, marquant et génial dans ses mécaniques. On sort fier d'une traversée comme celle-ci et l'envie d'un NewGame+ est assez forte pour bien illustrer le plaisir de jeu. Hors de question de laisser le sang sécher sur mon katana, je retourne à Ashina découper quelques mercenaires.